vendredi 4 octobre 2019

Yashasin Ouzbékistan


Du 4 au 25 Septembre 2019
Jean Pierre G, Noël C, Claire, Jean Marie


Pas une expé spéléo, pas vraiment de la prospection, plutôt voyage de découverte sur des karsts d'altitude. Au départ j'avais projeté une virée sur les sommets calcaires au nord de Téhéran, mais de copains spéléos en connaissances plus lointaines je suis tombé sur Jean Pierre (ancien Président de la région MidiPy) que je ne connaissais pas et son ami Thierry qui projetaient une virée en Ouzbékistan. Spélunca m'avait fait rêver avec les articles sur Boï Bulok. C'était OK pour cette destination.
4 jours avant le départ Thierry déclare forfait pour raison de santé. 4 jours pour trouver un remplaçant ? Impossible ? En une demie heure le remplaçant est trouvé : Noël se joindra à nous (après quelques hésitations sur le niveau de sécurité des zones).
Ce premier incident aurait du attirer notre attention. Tout le voyage sera une succession de situations imprévues et incontrôlables.

Nous arrivons de nuit à Tachkent, accueillis à notre arrivée par le responsable de l'agence trouvée sur le petit futé, Cholmurat. On donne les dollars ; pas de reçu. On aura un guide francophone demain...
Effectivement Aslidin vient nous retrouver à l’hôtel.



Il est parfaitement francophone, professeur et guide culturel  à Samarcande et Boukara. Il connait l'histoire, l'art et la civilisation de son pays mais n'est jamais vraiment allé en montagne. Il n'a qu'un petit baluchon, pas de duvet. Il se souviendra longtemps de sa première nuit à 2600 mètres. Claire lui apprendra une expression qu'il trouvera souvent à employer... "J'en ai marre !"


Visite de Tachkent.

Tamerlan a remplacé Lénine, héros nationaliste incontournable dans cette période post soviétique

Le soir nous arrivons à la gare pour le train de nuit qui nous amène vers le sud à une cinquantaine de kilomètres de la frontière afghane. Aslidin cherche les billets dans son sac. Pas de billets. Il détale, saute dans un taxi... Nous voilà plantés ! Demie heure après alors qu'il ne reste que quelques minutes avant le départ, il arrive à bout de souffle avec les billets qu'il avait oubliés à l’hôtel...

Train de nuit pour Baisun
Arrivée le matin à Baisun. Nous sommes accueillis par Louis (il a un nom tadjik imprononçable). Il est notre cuisinier. Mais il parle tadjik ce qui s’avérera indispensable dans cette zone ou les bergers ne parlent que cette langue, anglais et un peu français. Il sera le pilier de notre équipe.



Nous découvrons également Boris...



Citoyen ouzbek, ami de Cholmurat, il habite Tachkent. Il est russophone, ne semble pas parler ouzbek. Nous ne savons quel rôle il joue. Touriste qui s'est greffé à notre groupe ? Observateur des spéléos russes pour voir ou on va farfouiller ? Au bout de quelques jours nous finirons par comprendre qu'il est notre guide de montagne. Il a été dans cette zone il y a 26 ans... Et que dans une petite partie. Au mieux il ne se rappellera de rien, au pire il se rappellera et ... nous plantera systématiquement !

Départ dans 2 vieilles jeeps russes vers les falaises du Kugitan. Extrémité la plus occidentale de la chaîne des Tian Shan.




Plus de 300 mètres de verticale. Plus de 1000 mètres entre la crête et le fond de la vallée. Le tout sur plus de 50 kms
La crête marque la frontière avec le Turkménistan. Le plateau coté Turkmène est une réserve naturelle avec un petit Lechuguilla asiatique de plus de 50 kilomètres, des canyons des traces de dinosaures. L’Afghanistan est tout proche. Nous devons y passer 3 jours pour repérer des porches au bas de falaises (j'avais vu des photos sur Panoramio avant sa suppression). Nous sommes déjà dans une zone à autorisation spéciale mais en plus il faut attendre l'accord de l'armée. En attendant un villageois nous invite à partager son repas.

Repas pris sur la takhta, sorte d'estrade servant de lieu de repas, de discussion, de couchage. Prohibitif pour les genoux occidentaux.
La réponse arrive en fin d'après midi : c'est non. Un cadavre a été découvert récemment et un villageois a disparu. Rumeurs d'infiltration de talibans à travers la frontière. Notre sécurité n'est pas assurée. Retour à Baïsun le soir même. Ça commence bien. Ça fait 2 fois cette année que je me fais refouler d'une zone frontière.

Le lendemain départ vers notre second objectif : la zone de Boï Bulok. Cavité explorée par des équipes russes, italiennes, françaises. Profondeur 1400 mètres. Une autre cavité au dessus fait -700. Depuis 3 ans les expés se succèdent pour jonctionner et donner la 3° cavité mondiale.


On reprend nos jeeps
Comme il n'y a plus de chemin on roule directement dans le lit du torrent
Résurgence de Boï Bulok vers 1450 mètres


Après une demie journée de jeep dans des pistes plus que limite on arrive au village de DiBala, au pied de la falaise. 

Plateau de BoÏ Bulok. Le village de Di Bala est dans l'angle en bas à droite
Nouvelle invitation et discussion sans fin entre Louis et notre hôte (sur le prix des mules). Tout à coup tout s'active, les mules sont chargées et nous partons.


Il va falloir monter ça :


Finalement ça passe bien

Nous passons sur le plateau, arrivons à la prairie ou les spéléos russes avaient établi leur camp de base. Nous poursuivons. La nuit tombe. En demie heure la température chute de 20°. Nous quittons le chemin pour gravir une dalle calcaire inclinée bordée par un canyon. Les mules commencent à glisser. Il faut les soutenir pour ne pas qu'elles tombent dans le ravin. Nous arrivons à la source de Boï Bulok :

Entrée de Boï Bulok

Il n'y a aucun endroit plat pour mettre les tentes. Jean Pierre s'inquiète des mules qui filent dans la nuit. Il est le seul. Les muletiers essaient de terrasser avec des bâtons... On se caille et on a faim. Nos guides et les muletiers commencent à s'allumer. On a su plus tard que ces derniers étaient pressés de nous laisser et de rentrer au village. Un d'eux s’aperçoit que les mules ont disparu dans la montagne avec tout notre chargement ! Nous voila dans la brousse (buissons épineux d'un mètre de haut), à la frontale, dispersés dans la nuit à la recherche des bestiaux. Pas si cons que ça d'ailleurs, ces bêtes : on finit par les retrouver non loin de là sur un petit mamelon herbeux qui sera un lieu de camp parfait. Trop tard pour faire la cuisine (au feu de bois ou plutôt de brindilles). Aslidin propose un repas léger. Ce qui veut dire : rien du tout. Concept qui se renouvellera...


Les deux jours suivant ont été plus tranquilles. Normaux dirais je.
Ascension vers la crête à 3500 mètres. Le point culminant est à 3700 m mais loin vers l'est.




Retour au camp en descendant un des multiples canyons :


vers 3000 mètres

Enfin un vrai repas :

le Plov (plat national)
Et le thé


Le lendemain : prospection le long des canyons avec repérage de 2 entrées ventilées. Avec Jean Pierre nous ne résistons pas, malgré notre tenue légère, à l'envie de parcourir l'entrée de Boï Bulok :

A l'entrée, ramping dans la bouillasse. Ça ne change pas de ce qu'on a ici.
Plus loin ça devient plus étroit et gratoneux. Poursuivre sans combi c'est ressortir à poil !

Le séjour sur le plateau se termine. Demain les mules doivent être là à 7 heures. A vrai dire on n'y compte pas. 7h03 elles sont là !!!! Avec le chien, oreilles et queue coupées pour ne pas servir de prise aux loups et aux ours...


Longue journée. Retour à Di Bala. De là nous suivons la rivière vers le sud.



le paysage se ferme


Après 10 heures de marche nous quittons le canyon par un chemin à encorbellement et traversons un plateau immense sous les rayons du soleil couchant. Magique. Arrivée de nuit dans... un village balnéaire. Takhta, plov et repos bien mérité


Résurgence d'eau sulfureuse
Avec Jean Pierre nous remontons la cavité de la résurgence. Pieds nus puisqu'on rentre par une mosquée... Atmosphère tiède et suffocante. Une galerie fait suite à une salle ébouleuse. Le sol est très érodé et le ramping pieds nus et en short nous incite à ne pas aller plus avant.

Journée de repos à la ville du coin : Denov. Le taxi est bondé. Noël et Claire derrière, des sacs partout et moi devant. Ce qui n’empêche pas le chauffeur de prendre un passager de plus qu'il installe à sa gauche... pas grave il s'assied lui même sur le levier des vitesses... Sur le bord de la route une jeune fille fait signe. Je me pousse vers la portière pour lui laisser un peu de place mais le chauffeur ne s'arrête pas ; ne pas me gêner ou ne pas se mélanger avec l'impur ?

Dernière partie ; traversée du Sourkhandaria au sud vers le Kashkandaria :





Résurgence de Sargandak extrémité nord est du plateau de Boï Bulok


Résurgence est du plateau suivant (celui du Dark Star)
Nuit chez un berger
Départ pour passer le col. Pas de chemin, 1500 mètres de dénivelé. Pour seul repas on grignote quelques raisins secs, on mangera plus tard.

passage du col à 3500 m
Porche qui ne figure dans aucun rapport d'expé. Altitude 3600 m. Potentiel : plus de 2000


Il y a longtemps qu'il ne nous est rien arrivé... Au col le muletier se barre avec les mules et nous laisse en plan avec les sacs...


On laisse Aslidin à la garde du matériel et nous descendons vers la vallée. Le vent s'est levé et il fait un froid du diable.


Heureusement nous arrivons chez un berger (Askar) qui nous accueille. Nous n'avons rien à manger (c'est resté au col). Il vient de tuer une chèvre et nous fait partager le fricot en nous priant de prendre les meilleurs morceaux : les plus gras en frottant la graisse fondue avec le pain qui date de plusieurs jours. Pendant que sa femme traverse la cour avec la tête sanguinolente de la bête... Il y a bien 3 mules mais sa femme et sa fille descendent dans la vallée vendre le reste de la chèvre... Il ne reste plus qu'une mule... Et malgré les appels passés depuis le bureau il n' y en aura pas d'autre :


Louis se sacrifie et part avec l'animal. Il ne rentrera qu'en milieu de nuit avec Aslidin congelé et la moitié des affaires. Ils ont eu peur de rentrer de nuit avec la viande et le miel (les ours...) et ont laissé les provisions dehors... Ce qui diminuera drastiquement nos repas futurs...

Le lendemain nous gagnons le col qui mène au canyon de la grotte de Tamerlan. Le vent est permanent mais le coin est magnifique avec vue sur les sommets à 3900 (calcaires) le Chim Boï


Grotte de Tamerlan




Boris nous guide. Il laisse la grotte et descend le canyon à travers pierriers et ronces. Noël qui n'aime pas trop bartasser commence à tiquer. Boris est sûr : la grotte de Tamerlan est plus loin. Je le suis jusqu'à un repli de calcaire grisé qui pourrait annoncer un porche. Mais rien. Les parois s'écartent, il est clair que même si la grotte est plus loin on en aura pour des heures. On décide de faire demi tour. Borris continue. On se partage quelques raisins secs et un peu de miel...

En une heure on arrive au porche qui bien entendu est la grotte que nos cherchons. Étrange tube horizontal de bonne section que nous avons suivi sur plusieurs centaines de mètres. Bien antérieur au ravin  il s'est trouvé extériorisé quand le canyon l'a coupé détruisant tout l'aval. Boris, penaud nous retrouve un peu plus tard.

Je ne sais pas s'il existe une topo. Certains passages sur le coté nord mériteraient une escalade. Un collecteur de cette taille à 2600 mètres avec 1300 mètres de potentiel au dessus laisse rêveur.






fin de la première partie. L'étroiture a été désobée. Derrière, Louis nous a dit qu'il y a une grande salle avec un lac (siphon ?). Mais on n'est pas équipés pour et on n'a pas le temps.


Si une équipe spéléo revient sur place une exploration plus poussée semble indispensable.
Retour au camp pour la soupe de lentilles...

Avant dernier jour. Nous attendons des mules. Le vent est froid. J'ai la crève et je reste couché au soleil... J'attends jusqu'à 10 heures et si elles ne sont pas là j'essaie d'exciter le mouvement et de démarrer en laissant le matériel à la garde d'Aslidin... 10 heures, pas de mules. Je me lève, et me dirige vers les guides.  10h03 les mules arrivent... Longue étape monotone sur des crêtes ventées. 
Arrivée à Zarmas en fin de journée. On est tous crevés et affamés.


Surprise inimaginable : le villageois chez qui on loge a construit une petite pièce avec un poêle à bois. 40° et un seau d'eau chaude ! Le bonheur !

Dernière journée. Descente du canyon vers Tatar. 12 km de chemin magnifique entre falaises et torrent :


Nous passerons les 2 jours suivants à Langar. Repos, petite rando pour Noël et Jean Pierre. Claire est cuite et moi malade.

Tissage d'un tapis de mariage



Au total ce trek nous laissera des souvenirs exceptionnels. Rien à voir avec un circuit touristique. Aucun occidental n'avait parcouru cette zone à part quelques fonctionnaires russes et les spéléos sur la zone de Boï Bulok. Sur la partie "traversée" pas de chemins, des paysages immenses entre falaises et canyons, des porches perchés à plus de 3500m, l'accueil des bergers, l'improvisation permanente...
On oubliera vite le manque de nourriture. J'ai perdu 4 kg en 10 jours, Noël 5 (il n'aime pas la chèvre)...
Heureusement qu'on était tout les quatre  accoutumés aux situations difficiles de fatigue et d'endurance. Avec un groupe de touriste ce serait certainement vite parti en vrille...

Visite de Shakhrisabs, 
L'esprit de Cholmurat continue de nous harceler : 22 heures j'étais au lit, tranquillement en train de lire, quand Claire m'appelle à la salle de bain : le mitigeur lui est resté dans les mains !


L'hôtelier a certainement un diplôme de plomberie. Il se charge immédiatement de la réparation :


Derniers jours dans les ruelles de Boukara :




Et le choc visuel de la place du Régistan à Samarcande :


Béranger : Déçu.... en bien !

Jeudi 04 Octobre 2019
Trou de Béranger Trassanel
Jean Marie
TPST : 7 heures

C'est ce que disent les suisses quand ils sont agréablement surpris.
Hé oui, je suis rentré d'Ouzbékistan. Tant pis pour ceux qui espéraient ne pas me voir revenir.
Mais avec une crève infernale. Dans l'avion du retour les passagers toussaient tellement qu'on entendait plus les réacteurs ! Fidèle au principe de traiter le mal par le mal j'entame cette séance de pétage en solo. Pas sur que ce fut une bonne idée. Le ramping du retour, avec un sherpa plein, a été une horreur. 10 cms par 10 cms. Vraiment au moral, avec une fièvre de cheval. Ce matin ça va pas si mal.

Objectif : élargir le ressaut descendant de 1.5 à 2 mètres. Parfois les trous nous repoussent. Rien ne marche : fissures, pailles foireuses etc. Là ça a été un rêve. Enchaînement de réussites qu'il serait fastidieux de détailler, blocs qui restent en place et sont faciles à évacuer. Le top !
En 4 tirs je prends pied sur le fond. Difficile de se baisser pour ramasser les gravas. Il faudrait avoir un petit être aux petites jambes et bras rallongés mais on n'a plus ça en rayon. J'y arrive quand même. 
Pas très rassuré cependant : si le tas de blocs s'effondre je risque de descendre d'un étage et de me trouver coincé un peu plus bas. Le temps que Jean Claude viennent me chercher...
Crainte infondée : sous un bloc, un vide se découvre, mais large d'une vingtaine de cms, et profond ? D'un mètre ? Là je suis à la limite du découragement : on en finira pas avec les étroitures !
Mais peu à peu je dégage sur l'autre coté : là aussi un vide s'ouvre. En fait je suis sur un pont rocheux. Dessous les différents tubes se croisent séparés par d'autres lames. Mais le pétage des ponts dégagera immédiatement un diamètre bien suffisant pour passer avec peu de blocs à remonter. Même en faisant attention pas mal de gravas sont descendus. Je les entends rebondir sur ? 3 mètres ? Le bas doit être assez large : à aucun moment le courant d'air s'est arrêté. Je n'ai plus de munitions. Le corps non plus d'ailleurs. Je finis la batterie sur des trous d'élargissement du conduit horizontal. On a repoussé ces travaux mais les chances de passer sont maintenant assez fortes pour songer à un meilleur accès.

Le meilleur pour la fin :
A la stèle il faisait un vent du nord épouvantable, mais plus bas, à l'abri les conditions étaient plus agréables. Flanc sud, bien exposé au soleil, il a du faire plus de 20° dans la journée. Je pensais qu'il y aurait peu de courant d'air. Hé bien non. Le trous a aspiré à fond toute la journée, sans variation ou bouffées en rapport avec le vent. Mais parfaitement régulier et d'une intensité inégalée. Je le dis à chaque fois mais là c'était impressionnant. Même quand le fond du ressaut était quasi bouché par les blocs l'air s'infiltrait en sifflant. Bien entendu je n'ai pas senti le moindre ppm de gaz.
Ça va ? Pas de remarques ou de questionnement ? Pour le non initié OK mais pour les disciples de Baudoin Lismonde qui sont nombreux à me lire l'étonnement devrait vous clouer sur place comme moi même je l'ai été. Relisez le paragraphe ci dessus avant de poursuivre.
20°, trou qui aspire très fortement ? Béranger fonctionne maintenant comme une "entrée haute". Entre guillemets car on n'est pas dans un karst d'altitude. Et les flancs sont parsemés de trous souffleurs.
L'entrée est autour de 400 mètres d'altitude et les trous s'ouvrant plus bas sont... trés loin !
Comment expliquer ce changement ? Assèchement d'un passage siphonnant ?
Vos réactions ?

Prochaine sortie certainement vendredi 11.

Pas de photos, j'étais trop chargé mais une petite vidéo du trek Ouzbek réalisée par Noël, en attendant un article plus complet :

https://www.valdaoste.fr/lumieres-douzbekistan/#comments