Du 4 au 25 Septembre 2019
Jean Pierre G, Noël C, Claire, Jean Marie
Pas une expé spéléo, pas vraiment de la prospection, plutôt voyage de découverte sur des karsts d'altitude. Au départ j'avais projeté une virée sur les sommets calcaires au nord de Téhéran, mais de copains spéléos en connaissances plus lointaines je suis tombé sur Jean Pierre (ancien Président de la région MidiPy) que je ne connaissais pas et son ami Thierry qui projetaient une virée en Ouzbékistan. Spélunca m'avait fait rêver avec les articles sur Boï Bulok. C'était OK pour cette destination.
4 jours avant le départ Thierry déclare forfait pour raison de santé. 4 jours pour trouver un remplaçant ? Impossible ? En une demie heure le remplaçant est trouvé : Noël se joindra à nous (après quelques hésitations sur le niveau de sécurité des zones).
Ce premier incident aurait du attirer notre attention. Tout le voyage sera une succession de situations imprévues et incontrôlables.
Nous arrivons de nuit à Tachkent, accueillis à notre arrivée par le responsable de l'agence trouvée sur le petit futé, Cholmurat. On donne les dollars ; pas de reçu. On aura un guide francophone demain...
Effectivement Aslidin vient nous retrouver à l’hôtel.
Il est parfaitement francophone, professeur et guide culturel à Samarcande et Boukara. Il connait l'histoire, l'art et la civilisation de son pays mais n'est jamais vraiment allé en montagne. Il n'a qu'un petit baluchon, pas de duvet. Il se souviendra longtemps de sa première nuit à 2600 mètres. Claire lui apprendra une expression qu'il trouvera souvent à employer... "J'en ai marre !"
Visite de Tachkent.
Tamerlan a remplacé Lénine, héros nationaliste incontournable dans cette période post soviétique |
Le soir nous arrivons à la gare pour le train de nuit qui nous amène vers le sud à une cinquantaine de kilomètres de la frontière afghane. Aslidin cherche les billets dans son sac. Pas de billets. Il détale, saute dans un taxi... Nous voilà plantés ! Demie heure après alors qu'il ne reste que quelques minutes avant le départ, il arrive à bout de souffle avec les billets qu'il avait oubliés à l’hôtel...
Train de nuit pour Baisun |
Arrivée le matin à Baisun. Nous sommes accueillis par Louis (il a un nom tadjik imprononçable). Il est notre cuisinier. Mais il parle tadjik ce qui s’avérera indispensable dans cette zone ou les bergers ne parlent que cette langue, anglais et un peu français. Il sera le pilier de notre équipe.
Nous découvrons également Boris...
Citoyen ouzbek, ami de Cholmurat, il habite Tachkent. Il est russophone, ne semble pas parler ouzbek. Nous ne savons quel rôle il joue. Touriste qui s'est greffé à notre groupe ? Observateur des spéléos russes pour voir ou on va farfouiller ? Au bout de quelques jours nous finirons par comprendre qu'il est notre guide de montagne. Il a été dans cette zone il y a 26 ans... Et que dans une petite partie. Au mieux il ne se rappellera de rien, au pire il se rappellera et ... nous plantera systématiquement !
Départ dans 2 vieilles jeeps russes vers les falaises du Kugitan. Extrémité la plus occidentale de la chaîne des Tian Shan.
Plus de 300 mètres de verticale. Plus de 1000 mètres entre la crête et le fond de la vallée. Le tout sur plus de 50 kms |
La crête marque la frontière avec le Turkménistan. Le plateau coté Turkmène est une réserve naturelle avec un petit Lechuguilla asiatique de plus de 50 kilomètres, des canyons des traces de dinosaures. L’Afghanistan est tout proche. Nous devons y passer 3 jours pour repérer des porches au bas de falaises (j'avais vu des photos sur Panoramio avant sa suppression). Nous sommes déjà dans une zone à autorisation spéciale mais en plus il faut attendre l'accord de l'armée. En attendant un villageois nous invite à partager son repas.
Repas pris sur la takhta, sorte d'estrade servant de lieu de repas, de discussion, de couchage. Prohibitif pour les genoux occidentaux. |
La réponse arrive en fin d'après midi : c'est non. Un cadavre a été découvert récemment et un villageois a disparu. Rumeurs d'infiltration de talibans à travers la frontière. Notre sécurité n'est pas assurée. Retour à Baïsun le soir même. Ça commence bien. Ça fait 2 fois cette année que je me fais refouler d'une zone frontière.
Le lendemain départ vers notre second objectif : la zone de Boï Bulok. Cavité explorée par des équipes russes, italiennes, françaises. Profondeur 1400 mètres. Une autre cavité au dessus fait -700. Depuis 3 ans les expés se succèdent pour jonctionner et donner la 3° cavité mondiale.
On reprend nos jeeps |
Comme il n'y a plus de chemin on roule directement dans le lit du torrent |
Résurgence de Boï Bulok vers 1450 mètres |
Après une demie journée de jeep dans des pistes plus que limite on arrive au village de DiBala, au pied de la falaise.
Plateau de BoÏ Bulok. Le village de Di Bala est dans l'angle en bas à droite |
Nouvelle invitation et discussion sans fin entre Louis et notre hôte (sur le prix des mules). Tout à coup tout s'active, les mules sont chargées et nous partons.
Il va falloir monter ça :
Finalement ça passe bien |
Nous passons sur le plateau, arrivons à la prairie ou les spéléos russes avaient établi leur camp de base. Nous poursuivons. La nuit tombe. En demie heure la température chute de 20°. Nous quittons le chemin pour gravir une dalle calcaire inclinée bordée par un canyon. Les mules commencent à glisser. Il faut les soutenir pour ne pas qu'elles tombent dans le ravin. Nous arrivons à la source de Boï Bulok :
Entrée de Boï Bulok |
Il n'y a aucun endroit plat pour mettre les tentes. Jean Pierre s'inquiète des mules qui filent dans la nuit. Il est le seul. Les muletiers essaient de terrasser avec des bâtons... On se caille et on a faim. Nos guides et les muletiers commencent à s'allumer. On a su plus tard que ces derniers étaient pressés de nous laisser et de rentrer au village. Un d'eux s’aperçoit que les mules ont disparu dans la montagne avec tout notre chargement ! Nous voila dans la brousse (buissons épineux d'un mètre de haut), à la frontale, dispersés dans la nuit à la recherche des bestiaux. Pas si cons que ça d'ailleurs, ces bêtes : on finit par les retrouver non loin de là sur un petit mamelon herbeux qui sera un lieu de camp parfait. Trop tard pour faire la cuisine (au feu de bois ou plutôt de brindilles). Aslidin propose un repas léger. Ce qui veut dire : rien du tout. Concept qui se renouvellera...
Les deux jours suivant ont été plus tranquilles. Normaux dirais je.
Ascension vers la crête à 3500 mètres. Le point culminant est à 3700 m mais loin vers l'est.
Retour au camp en descendant un des multiples canyons :
vers 3000 mètres |
le Plov (plat national) |
Et le thé |
Le lendemain : prospection le long des canyons avec repérage de 2 entrées ventilées. Avec Jean Pierre nous ne résistons pas, malgré notre tenue légère, à l'envie de parcourir l'entrée de Boï Bulok :
A l'entrée, ramping dans la bouillasse. Ça ne change pas de ce qu'on a ici. |
Plus loin ça devient plus étroit et gratoneux. Poursuivre sans combi c'est ressortir à poil ! |
Le séjour sur le plateau se termine. Demain les mules doivent être là à 7 heures. A vrai dire on n'y compte pas. 7h03 elles sont là !!!! Avec le chien, oreilles et queue coupées pour ne pas servir de prise aux loups et aux ours...
Longue journée. Retour à Di Bala. De là nous suivons la rivière vers le sud.
le paysage se ferme |
Après 10 heures de marche nous quittons le canyon par un chemin à encorbellement et traversons un plateau immense sous les rayons du soleil couchant. Magique. Arrivée de nuit dans... un village balnéaire. Takhta, plov et repos bien mérité
Résurgence d'eau sulfureuse |
Avec Jean Pierre nous remontons la cavité de la résurgence. Pieds nus puisqu'on rentre par une mosquée... Atmosphère tiède et suffocante. Une galerie fait suite à une salle ébouleuse. Le sol est très érodé et le ramping pieds nus et en short nous incite à ne pas aller plus avant.
Journée de repos à la ville du coin : Denov. Le taxi est bondé. Noël et Claire derrière, des sacs partout et moi devant. Ce qui n’empêche pas le chauffeur de prendre un passager de plus qu'il installe à sa gauche... pas grave il s'assied lui même sur le levier des vitesses... Sur le bord de la route une jeune fille fait signe. Je me pousse vers la portière pour lui laisser un peu de place mais le chauffeur ne s'arrête pas ; ne pas me gêner ou ne pas se mélanger avec l'impur ?
Dernière partie ; traversée du Sourkhandaria au sud vers le Kashkandaria :
Résurgence de Sargandak extrémité nord est du plateau de Boï Bulok |
Résurgence est du plateau suivant (celui du Dark Star) |
Nuit chez un berger |
passage du col à 3500 m |
Porche qui ne figure dans aucun rapport d'expé. Altitude 3600 m. Potentiel : plus de 2000 |
Il y a longtemps qu'il ne nous est rien arrivé... Au col le muletier se barre avec les mules et nous laisse en plan avec les sacs...
On laisse Aslidin à la garde du matériel et nous descendons vers la vallée. Le vent s'est levé et il fait un froid du diable.
Heureusement nous arrivons chez un berger (Askar) qui nous accueille. Nous n'avons rien à manger (c'est resté au col). Il vient de tuer une chèvre et nous fait partager le fricot en nous priant de prendre les meilleurs morceaux : les plus gras en frottant la graisse fondue avec le pain qui date de plusieurs jours. Pendant que sa femme traverse la cour avec la tête sanguinolente de la bête... Il y a bien 3 mules mais sa femme et sa fille descendent dans la vallée vendre le reste de la chèvre... Il ne reste plus qu'une mule... Et malgré les appels passés depuis le bureau il n' y en aura pas d'autre :
Louis se sacrifie et part avec l'animal. Il ne rentrera qu'en milieu de nuit avec Aslidin congelé et la moitié des affaires. Ils ont eu peur de rentrer de nuit avec la viande et le miel (les ours...) et ont laissé les provisions dehors... Ce qui diminuera drastiquement nos repas futurs...
Le lendemain nous gagnons le col qui mène au canyon de la grotte de Tamerlan. Le vent est permanent mais le coin est magnifique avec vue sur les sommets à 3900 (calcaires) le Chim Boï
Grotte de Tamerlan |
Boris nous guide. Il laisse la grotte et descend le canyon à travers pierriers et ronces. Noël qui n'aime pas trop bartasser commence à tiquer. Boris est sûr : la grotte de Tamerlan est plus loin. Je le suis jusqu'à un repli de calcaire grisé qui pourrait annoncer un porche. Mais rien. Les parois s'écartent, il est clair que même si la grotte est plus loin on en aura pour des heures. On décide de faire demi tour. Borris continue. On se partage quelques raisins secs et un peu de miel...
En une heure on arrive au porche qui bien entendu est la grotte que nos cherchons. Étrange tube horizontal de bonne section que nous avons suivi sur plusieurs centaines de mètres. Bien antérieur au ravin il s'est trouvé extériorisé quand le canyon l'a coupé détruisant tout l'aval. Boris, penaud nous retrouve un peu plus tard.
Je ne sais pas s'il existe une topo. Certains passages sur le coté nord mériteraient une escalade. Un collecteur de cette taille à 2600 mètres avec 1300 mètres de potentiel au dessus laisse rêveur.
fin de la première partie. L'étroiture a été désobée. Derrière, Louis nous a dit qu'il y a une grande salle avec un lac (siphon ?). Mais on n'est pas équipés pour et on n'a pas le temps.
Si une équipe spéléo revient sur place une exploration plus poussée semble indispensable.
Retour au camp pour la soupe de lentilles...
Avant dernier jour. Nous attendons des mules. Le vent est froid. J'ai la crève et je reste couché au soleil... J'attends jusqu'à 10 heures et si elles ne sont pas là j'essaie d'exciter le mouvement et de démarrer en laissant le matériel à la garde d'Aslidin... 10 heures, pas de mules. Je me lève, et me dirige vers les guides. 10h03 les mules arrivent... Longue étape monotone sur des crêtes ventées.
Arrivée à Zarmas en fin de journée. On est tous crevés et affamés.
Surprise inimaginable : le villageois chez qui on loge a construit une petite pièce avec un poêle à bois. 40° et un seau d'eau chaude ! Le bonheur !
Dernière journée. Descente du canyon vers Tatar. 12 km de chemin magnifique entre falaises et torrent :
Nous passerons les 2 jours suivants à Langar. Repos, petite rando pour Noël et Jean Pierre. Claire est cuite et moi malade.
Tissage d'un tapis de mariage |
Au total ce trek nous laissera des souvenirs exceptionnels. Rien à voir avec un circuit touristique. Aucun occidental n'avait parcouru cette zone à part quelques fonctionnaires russes et les spéléos sur la zone de Boï Bulok. Sur la partie "traversée" pas de chemins, des paysages immenses entre falaises et canyons, des porches perchés à plus de 3500m, l'accueil des bergers, l'improvisation permanente...
On oubliera vite le manque de nourriture. J'ai perdu 4 kg en 10 jours, Noël 5 (il n'aime pas la chèvre)...
Heureusement qu'on était tout les quatre accoutumés aux situations difficiles de fatigue et d'endurance. Avec un groupe de touriste ce serait certainement vite parti en vrille...
Visite de Shakhrisabs,
L'esprit de Cholmurat continue de nous harceler : 22 heures j'étais au lit, tranquillement en train de lire, quand Claire m'appelle à la salle de bain : le mitigeur lui est resté dans les mains !
L'hôtelier a certainement un diplôme de plomberie. Il se charge immédiatement de la réparation :
Derniers jours dans les ruelles de Boukara :
Et le choc visuel de la place du Régistan à Samarcande :
Merci jean Marie pour ce bel article, concis mais qui reflète parfaitement les aventures vécues....
RépondreSupprimerBeau reportage touristique, faible prétexte spéléo Mais vous êtes de retour, cela aurait pu être pire avec Thomas Cook....
RépondreSupprimerUn bon résumé qui reflète bien l'ambiance et les surprises journalières de cette aventure. Jean-Pierre
RépondreSupprimerJ'aime les reportages de Jean Marie.
RépondreSupprimerPour information :Aujourd'hui le 5 ,à 14h Salle des fêtes Douzens expo en hommage à André Capdeville : ses nombreux tableaux, et 4 panneaux de photos d'André en spéléologie .Il y a une table avec un vieux casque et plusieurs bramabenc.....L'expo se poursuivra Dimanche et se clôturera Dimanche en fin d'après midi avec un apéro vers 17_18h....
Superbe reportage d'un périple aventureux. Les karsts font rêver mais ce sera pour les générations futures. Merci pour ce témoignage et ces magnifiques images.
RépondreSupprimerça me rappelle 2010 au Tadjikistan, par contre notre séjour ouzbek fut plus touristique !
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